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EN PAYS LOINTAIN

sucre en abondance pour deux hommes ordinaires. Mais ces deux-ci n’étaient guère que des enfants. Ils eurent vite découvert les bienfaits de l’eau chaude saturée à point avec du sucre ; ils trempèrent sans parcimonie leurs galettes et ramollirent leurs croûtons dans le doux sirop blanc. Le café, le thé et surtout les fruits secs subirent de désastreux ravages. Leur première discussion naquit à propos du sucre. Et c’est une grande affaire quand deux hommes, qui dépendent l’un de l’autre pour toute compagnie, commencent à se quereller.

Weatherbee aimait à pérorer sur la politique et Cuthfert, qui s’était borné jusqu’alors à détacher ses coupons et à laisser la chose publique se débrouiller de son mieux, se désintéressait de la question ou bien se répandait en d’effarantes épigrammes. Mais l’employé était trop obtus pour apprécier l’expression adroite de la pensée, et cette dépense inutile d’esprit irritait Cuthfert. Habitué à éblouir les gens par son éloquence, le manque d’auditoire constituait pour lui une véritable souffrance. Il se tint pour offensé et, inconsciemment, il fit retomber tout le poids de ce grief sur son pauvre diable de compagnon.

À part leur existence actuelle, ils n’avaient rien de commun et leurs mentalités ne présentaient aucun point de contact. Weatherbee était un gratte-papier qui, de toute sa vie, n’était sorti de ses bureaux ; Cuthfert, maitre ès arts[1], tripotait la peinture à

  1. Master of Arts. Grade universitaire correspondant à notre baccalauréat.