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EN PAYS LOINTAIN

Mais un jour, comme il sortait d’une de ces crises, l’employé remarqua l’arme braquée sur lui. Ses soupçons s’éveillèrent et désormais lui aussi vécut en craignant pour sa vie. Ils s’épièrent à ce point que chacun d’eux se retournait avec un sursaut d’effroi dès que l’autre passait derrière lui. Cette appréhension se changea bientôt en une manie qui les hantait même pendant leur sommeil. Ils laissaient tacitement brûler la lampe toute la nuit et veillaient, avant de se coucher, à ce qu’elle fût abondamment garnie de graisse.

Le moindre mouvement de l’un suffisait pour alarmer l’autre et, pendant de longues heures, ils restaient les yeux ouverts, grelottant sous leurs couvertures, les doigts sur la gâchette.

Tant par la Peur du Nord que par le surmenage de leur cerveau et par le ravage du mal, ils perdaient toute apparence humaine et arrivaient à ressembler à des bêtes sauvages traquées et aux abois.

Leurs joues et leurs nez, par suite du gel, étaient devenus noirs et leurs orteils se détachaient à la première et à la seconde phalange. Chaque geste leur était une souffrance, mais le poêle insatiable exigeait de leurs pauvres corps une rançon de tortures. Tous les jours il réclamait sa nourriture — comme Shylock la livre de chair — et les malheureux se traînaient dans la forêt sur les genoux pour couper du bois.

Un jour, comme ils rampaient à la recherche de branches mortes, ils pénétrèrent à leur insu dans