Aller au contenu

Page:London - La plus belle pépite, paru dans Candide, 31 juillet 1940.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page n’a pas pu être entièrement corrigé, à cause d’un problème décrit en page de discussion.

Il y a du texte non repris dans le FS !

alerte ils attrapaient leur fusil et se joignaient aux assaillants. Dès que se produisait un accident, les Spiggots se mettaient à crier « Mort aux Gringos ! » Et là-dessus ils massacraient l’équipe du train et à tout hasard les voyageurs gringos réchappés de l’accident. Tout cela suivant leur arithmétique qui, ainsi que je vous le disais, diffère totalement de la nôtre.

« Sacrebleu ! tout de suite je constatai par moi-même que l’ex-conducteur ne mentait pas. Je devais prendre mon roulement dans la première division à Quito et m’y rendre dès le lendemain matin par le seul et unique train quotidien. Dans l’après-midi de ce premier jour, à Duran, sur les quatre heures, les chaudières du Gouverneur Hancock firent explosion et il coula par soixante pieds de fond devant l’embarcadère. C’était le grand bateau transbordeur qui amenait les voyageurs du chemin de fer à Guayaquil, sur l’autre rive du fleuve. Cette catastrophe fut cause d’événements plus graves encore. À partir de quatre heures et demie, des trains bondés commencèrent d’arriver. C’était jour de fête ; la Compagnie avait organisé une excursion dans la montagne et la foule des gens de Guayaquil rentrait. « Cette foule, composée de cinq mille personnes, voulait passer l’eau et le bateau gisait par le fond : nous n’y étions pour rien, mais l’arithmétique des Spiggots ne l’entendait pas ainsi. « Mort aux Gringos ! » gueula l’un d’eux. Aussitôt tout se gâta. La plupart d’entre nous n’échappèrent à la mort que de l’épaisseur d’un cheveu. Je courus sur les talons du chef-mécanicien en portant un de ses gosses, pour rattraper les locomotives qui venaient de démarrer. Car là-bas, loin de tout, en cas de difficultés, on cherche d’abord à sauver les locomotives, pour la raison que sans elles pas de train possible. Quand nous pûmes partir, une demi-douzaine d’Américaines et autant d’enfants étaient blottis près de nous sur le parquet de l’abri et les soldats de l’Équateur chargés de protéger nos vies et nos biens nous canardaient à qui mieux mieux : ils nous ont bien tiré mille salves avant que nous fussions hors de portée.

« Nous campâmes sur les hauteurs et ne revînmes que deux jours après pour déblayer. Il y avait de la besogne : plates-formes, wagons couverts, fourgons, machine asthmatique de manœuvre, même wagonnets à main, la population avait tout balancé dans la mer par-dessus le Gouverneur Hancock. Ils avaient incendié la rotonde, mis le feu dans les soutes à charbon ; l’atelier de réparation ne ressemblait plus à rien. Il nous fallut aussi enterrer, en toute hâte, trois de nos collègues qui s’étaient fait prendre. Là-bas, la température est chaude. »

Julian Jones marqua un arrêt et, par-dessus son épaule, étudia l’expression désapprobatrice et le regard fixe de son épouse.

— Je n’oublie pas la pépite, dit-il pour me rassurer.

— Ni la garce, lança la femme, apparemment à l’adresse des sarcelles qui voguaient sur le lac.

— Nous arrivons bientôt à la pépite…

— Qu’avais-tu besoin de rester dans ce pays maudit ? lança sa femme.

— Allons, Sarah, implora-t-il, c’est pour toi que je travaillais.