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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/145

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jusqu’à pénétrer dans l’établissement, mais nous ne voulions pas nous commettre avec eux.

Nous étions là, alignés contre le comptoir interminable : le capitaine, le second, les six chasseurs, les six timoniers et les cinq rameurs. De ces derniers, il ne restait plus que cinq : un d’entre nous avait été lancé par-dessus bord, un sac de charbon aux pieds, entre deux rafales de neige, dans une violente tempête au large du cap Jérimo. Nous restions dix-neuf et après sept mois de labeur commun dans l’ouragan et la bise, c’était peut-être la dernière fois que nous buvions ensemble, ou même que nous nous voyions. Nous le sentions, avec l’infaillible intuition des matelots.

Les dix-neuf burent la tournée du capitaine. Puis le second promena sur nous des yeux éloquents et fit renouveler les consommations. Nous aimions autant le second que le patron. Pouvions-nous décemment boire avec l’un et pas avec l’autre ?

Pète Holt, mon chasseur à moi qui devait disparaître l’année suivante avec la Mary Thomas, perdue corps et biens, commanda une troisième tournée. L’heure passait, les boissons continuaient d’affluer sur le comptoir ; nous élevions la voix et les lubies commençaient à grouiller. Chacun des six chasseurs insista, au nom sacré de la camaraderie, pour que tous acceptent au moins de boire une fois avec lui. Les six timoniers et les cinq rameurs tinrent des propos analogues. L’argent gonflait nos poches ; il valait bien celui des autres, après tout, et nous avions le cœur libre et généreux.

Dix-neuf tournées ! Que pouvait souhaiter de