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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/192

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aurait suffi à me ramollir le cerveau et m’envoyer dans un asile d’aliénés. J’écrivais — j’écrivais de tout : des essais indigestes, des nouvelles scientifiques et sociologiques, des poésies humoristiques, des vers de toutes sortes — depuis les triolets jusqu’aux sonnets, en passant par la tragédie en vers blancs — et des épopées éléphantines en stances spencériennes. Parfois, je « pondais » régulièrement pendant quinze heures par jour. J’en oubliais de manger — tant il me coûtait de m’arracher à cette verve débordante.

Alors se posa la question de dactylographie. Mon beau-frère possédait une machine dont il se servait le jour, et qu’il mettait à ma disposition pendant la nuit. Cette machine était une merveille, et je pleure encore de rage lorsque je me rappelle les bagarres que je soutins avec elle. Sans aucun doute c’était le premier modèle depuis l’invention de la machine à écrire. Son alphabet se composait uniquement de majuscules. Un mauvais génie l’habitait. Elle n’obéissait à aucune loi physique et démentait le proverbe : « Les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Je vous jure qu’elle ne me jouait jamais deux fois les mêmes tours !

Que mon dos me faisait mal ! Avant cette épreuve, il avait résisté aux violents efforts que m’imposait un métier qui n’était pas des plus doux. Mais cette machine-là me démontra qu’en fait de colonne vertébrale, je possédais un tuyau de pipe ! Elle me fit douter aussi de mes épaules. Chaque fois que je me relevais, je souffrais comme de rhumatismes. Il fallait taper si fort sur le clavier que le bruit parvenait aux oreilles des passants comme le grondement lointain du