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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/22

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l’effroi s’abattit sur moi — un effroi que je dois expliquer.

Ma mère avait des idées préconçues. Elle maintenait avec fermeté qu’il fallait se méfier des brunes et de toute la tribu des personnes aux yeux noirs. Inutile de dire qu’elle-même était blonde. De plus, elle était convaincue que les races latines au regard sombre sont excessivement susceptibles, traîtresses et sanguinaires. Maintes fois j’avais bu à ses lèvres les histoires étranges et horribles qu’elle me racontait sur le monde. J’en avais retenu ceci : quand on offense un Italien, même légèrement et sans la moindre intention, il ne manque jamais de se venger en vous poignardant dans le dos. C’était son expression favorite : « poignarder dans le dos ».

Malgré mon envie de voir Black Matt tuer Tom Morrisey ce matin-là, je ne tenais nullement à me donner en spectacle aux danseurs, en recevant un coup de couteau dans mon dos à moi. Je n’avais pas encore appris à discerner entre les théories et les faits. J’avais une foi aveugle dans les dires de ma mère sur le caractère italien. En outre, j’avais une vague notion du caractère sacré de l’hospitalité, et en ce moment j’étais l’hôte d’un de ces Italiens traîtres, irascibles et sanguinaires. On m’avait fait croire que si je l’offensais, il me donnerait un coup de couteau aussi sûrement qu’un cheval envoie des ruades à qui le tracasse de trop près.

Cet Italien, ce Peter, possédait justement les terribles yeux noirs dont ma mère m’avait parlé ; ils ne ressemblaient en rien à ceux que je connaissais, aux yeux bleus, gris ou noisette de mes parents, aux yeux pâles et rieurs des Irlandais.