Aller au contenu

Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
JACK LONDON

pommes de terre. Il en prit une dans le sac d’où je les tirais. Elle était saine et ferme, et non pelée. Il referma sa main sur elle, et accentua sa pression. Bientôt, la pomme de terre, transformée en purée, jaillit entre ses doigts, en filets jaunâtres. Cela fait, il en laissa tomber la peau et s’en alla.

Et je compris sans peine ce qui serait advenu de mon bras, s’il avait plu au monstre d’user de toute sa force.

Ces trois jours de repos m’avaient cependant été salutaires. Mon genou s’était reposé et l’enflure avait diminué. La rotule semblait revenir à sa place.

En revanche, ces trois jours d’intimité avec Loup Larsen ne tardèrent pas à m’apporter les désagréments escomptés. Il apparut rapidement que Thomas Mugridge était décidé à me les faire payer cher. Il se mit à me traiter plus grossièrement encore que par le passé ; il m’injuriait sans cesse et se déchargeait sur moi du travail qui lui incombait. Il alla même jusqu’à lever le poing sur moi. Mais, moi aussi, je m’endurcissais et tournais à l’animal. Je protestai, et avec tant de véhémence, qu’il eut peur et recula.

C’était là un joli tableau, que celui d’Humphrey Van Weyden, acculé dans un coin de cette infecte cuisine et défiant du regard l’immonde créature qui s’apprêtait à le frapper. J’avais les lèvres retroussées, comme celles d’un chien qui grogne, et dans mes yeux enfiévrés luisaient à la fois la

112