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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/112

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LE LOUP DES MERS

crainte et le courage, né de ma peur. Je jouais le rôle d’un rat bloqué dans un piège. Quoi qu’il en soit, ma révolte fut efficace et le poing qui me menaçait ne s’abattit pas sur moi.

De cet instant, Thomas Mugridge et moi, telles deux bêtes ennemies encagées ensemble, nous ne cessâmes plus de nous jeter des regards de haine et de nous montrer les dents.

Comme le coq était un poltron et n’osait plus engager avec moi un pugilat, où il craignait d’avoir le dessous, il usa, pour m’effrayer, d’un autre genre de menace.

Dans la cuisine, il n’y avait pour trancher la viande qu’un seul grand couteau, usé par de nombreuses années de service, et qui n’était plus qu’une longue lame mince, si terrible d’aspect que je frissonnais chaque fois que j’avais à l’utiliser.

Le coq emprunta à Johansen une pierre à repasser et se mit à aiguiser avec ostentation devant moi l’acier tranchant. Ce faisant, il n’arrêtait pas de me lancer des regards significatifs.

Chaque jour, dès qu’il avait une minute de loisir, Thomas Mugridge affûtait le couteau, qui devint coupant comme un rasoir. Il en essayait le fil sur le revers de son pouce, ou passait la pointe sous ses ongles. Il s’en servait pour se raser le poil sur le dos de sa main, et se penchait sur l’acier qu’il examinait avec minutie, de ses yeux écarquillés. Au bout d’un moment, il finissait par

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