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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/115

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JACK LONDON

lisais, comme dans un livre, ce qui se passait dans ce cerveau.

Les jours suivants, le Fantôme continua à filer sous les alizés et Thomas Mugridge à affiler son couteau sans répit, avec, à mon adresse, des regards dignes d’un carnassier.

De plus en plus effrayé, et certain que, d’une minute à l’autre, il me ferait mon affaire, j’en étais arrivé, quand je quittais la cuisine, à marcher à reculons. Cela au grand amusement de l’équipage et des chasseurs de phoques qui, pour en rire, guettaient mes sorties.

Il en résulta, pour mes nerfs, une telle tension que je tombai dans un sombre désespoir. Sur ce bateau de fous et de brutes, j’étais une âme humaine en détresse à qui, de l’avant à l’arrière, personne ne songeait à tendre une main secourable.

Parfois, je pensais à aller tout raconter à Loup Larsen et à réclamer sa protection. Mais la lueur diabolique qui brillait dans ses yeux et faisait la nique à la vie, me retenait.

Parfois encore, j’envisageais sérieusement de mettre fin à mes jours et il me fallait toute mon énergie, toute mon obstination optimiste, pour ne pas piquer une tête dans la mer, durant la nuit.

Lorsque Loup Larsen tentait d’engager avec moi la conversation et de m’entreprendre sur un sujet littéraire ou philosophique, je lui répondais évasivement et me dérobais. Si bien qu’il comprit

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