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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/172

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LE LOUP DES MERS

s’abrutissant toujours davantage à leur mutuelle friction, et ils mourront un jour, aussi lamentablement qu’ils ont vécu.

J’ai, l’autre soir, entrepris Johansen à ce sujet. Il m’a déclaré — et ce sont les premières paroles étrangères au service dont il m’a gratifié depuis le début de la traversée — qu’il avait quitté la Suède à dix-huit ans. Il en a trente aujourd’hui et n’est pas, dans l’intervalle, une seule fois retourné chez lui.

Il y a deux ans, il a rencontré au Chili, dans une pension de matelots, un homme qui venait de sa ville natale. Il a, ainsi, appris que sa mère était toujours vivante.

— Elle doit être très vieille ! dit-il d’un air rêveur. (Il baissa les yeux sur la boussole, puis les releva pour jeter un regard sévère à Harrison, qui avait laissé le gouvernail dévier d’un point.)

— Quand lui as-tu écrit pour la dernière fois ? demandai-je.

Il fit, à haute voix, un calcul indécis.

— En 81… Non, en 82… C’est-à-dire, non, en 83. Oui, c’est bien ça, en 83 ! Il y a dix ans… D’un petit port de Madagascar. J’étais à cette époque dans la marine marchande.

Il fit un grand geste, comme pour désigner sa mère, qui était loin, très loin, aux antipodes…

— Chaque année, je projetais d’aller la voir. Alors, à quoi bon écrire ? Et toujours un empêchement survenait. Mais maintenant que je suis

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