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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/281

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JACK LONDON

nécessaire, et il se garda bien de me la donner.

Je ne pouvais, au surplus, m’enfuir sans emmener avec moi Miss Brewster. Une crise approchait, que je voyais venir avec effroi et que j’osais à peine envisager.

J’avais aimé l’écrivain dans ses œuvres et, chaque jour davantage, je m’éprenais de la femme. C’était fatal, dans la situation où nous nous trouvions. Le malheur était, je le comprenais à des signes indiscutables, de n’être pas le seul à m’intéresser à elle : il y avait aussi Loup Larsen.

Maud Brewster était de petite taille, mais fine et gracieuse, un bibelot en porcelaine de Saxe, délicat et fragile. Il était impossible d’imaginer pour elle un milieu plus disparate.

Quand elle redescendait à sa cabine, je ne manquais jamais de la retenir par le bras ; il me semblait qu’en tombant elle se serait cassée en morceaux.

Ses mouvements étaient souples et légers. Elle ne marchait pas, elle voletait comme un oiseau. Elle flottait dans l’air.

Son physique s’apparentait aux vers qu’elle écrivait. C’est-à-dire un être et un esprit pareillement immatériels. Bien peu d’argile, à n’en pas douter, entrait dans sa forme corporelle. Tout juste de quoi donner consistance à l’idéalisme dont elle était pétrie.

Quel contraste entre elle et Loup Larsen ! C’est ce que souvent je me disais, en les regardant aller

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