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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/383

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JACK LONDON

d’une seconde, je fus au comble du désespoir. Fuir était hors de question.

Je songeai à la jeune femme, endormie encore dans la hutte confortable que nous avions si péniblement construite. Je me rappelai notre bonsoir de la veille : « Bonne nuit, Maud. — Bonne nuit, Humphrey » et la phrase si douce dont je m’étais bercé en attendant le sommeil : « Ma femme, ma compagne… »

Ces mêmes mots tintaient encore dans mon cerveau, mais comme un glas funèbre qui maintenant sonnait. Alors tout, pour moi, devint noir.

Cet abandon de moi-même ne dura peut-être qu’une fraction de seconde, durant laquelle je regardais, comme hébété, le Fantôme échoué la proue sur le sable, dans l’inextricable fouillis de ses agrès. Soulevé de temps à autre par les vagues mugissantes, il retombait lourdement sous son propre poids, avec des grincements du fer et du bois.

Que faire ? Car il fallait agir et se hâter. Maud et moi, nous devions à tout prix tenter quelque chose.

Les falaises, qui de tous côtés enserraient la baie, nous interdisaient de gagner l’intérieur de l’île. Et d’ailleurs, à quoi cela nous aurait-il servi ? Où nous cacher, sans être bientôt dépistés ?

Le canot et l’immense Océan étaient notre seul refuge. Je songeai à nos réserves de viande, d’huile, de mousse et de bois à brûler, qui devaient nous permettre de traverser, sans dommage, le terrible hiver qui approchait.

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