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Page:London - Romans maritimes et exotiques (extrait L’Enfant des eaux), 1985.djvu/13

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allèrent voir son père et lui demandèrent d’envoyer l’Enfant des Eaux pêcher des homards afin de satisfaire l’appétit du roi et d’éviter son courroux.

« Les faits suivants ont eu pour témoins tous les gens de Waihée. Les pêcheurs et leurs femmes, les cultivateurs et les chasseurs d’oiseaux vinrent se planter sur le bord du rocher, derrière l’Enfant des Eaux qui regardait les homards, tout au fond de l’eau.

« Un requin, levant à la surface ses yeux de chat, l’aperçut et envoya, dans son langage, l’appel qui signifie « viande fraîche » pour rassembler tous ses camarades du lagon. Ces bêtes-là travaillent en groupe, c’est ce qui fait leur force. Les autres requins accoururent et bientôt on en vit une quarantaine, des grands, des petits, des gras et des maigres : ils se consultèrent, se disant l’un à l’autre : « Regarde cette friandise, ce morceau exquis de tendre chair humaine non imprégnée de sel marin, que nous connaissons trop, ce mets savoureux que nos ventres engloutiront et dont nous extrairons toute la saveur ».

« Ils se racontaient encore bien d’autres choses :

« Il vient chercher les homards. Il ne ressemble pas au vieux d’hier, tout desséché par l’âge, ni à ce jeune esthète aux membres musclés, mais il est bien tendre, si tendre qu’il fondra dans nos gosiers avant d’arriver à nos estomacs. Quand il plongera, sautons tous sur lui et le plus veinard l’attrapera. Un coup de dents et il disparaîtra dans le ventre du plus chanceux d entre nous. »

« Keikiwai, l’Enfant des Eaux, comprenait leur langage et les entendait comploter : il adressa alors une prière dans ce même idiome à leur dieu Moku-halii : les requins l’écoutaient, en battant de la queue, et clignaient leurs yeux de chat, pour montrer qu’ils le comprenaient. Enfin il dit : « Je vais maintenant aller chercher un homard pour le roi. Et il ne m’arrivera aucun mal, car le requin qui a la queue la plus courte est mon ami et me protégera. »

« Ce disant, il ramassa un caillou de lave et le lança dans l’eau où il tomba avec bruit à une dizaine de mètres sur le côté. Les quarante requins s’élancèrent, pendant que le gamin plongeait : avant qu’ils se fussent aperçus de leur erreur, l’enfant avait eu le temps de remonter et de sortir de l’eau, tenant dans sa main un gros homard, une femelle, pleine d’œufs, pour le roi.

« – Ah ! dirent les requins furieux. Il y a un traître parmi nous. L’enfant délicieux, le morceau de choix a parlé et il a dénoncé son sauveur. Il faut comparer la longueur de nos queues.

« Alors ils s’alignèrent, côte à côte, en une longue rangée, ceux à queue courte trichaient et s’étiraient pour gagner un peu plus de longueur, les autres s’étiraient aussi pour ne pas se laisser dépasser. Enfin, furieux contre celui à qui ils découvrirent la queue la plus courte, ils se jetèrent sur lui de toutes parts et n’en laissèrent pas une miette.

« Ensuite, ils attendirent que l’Enfant des Eaux plongeât de nouveau. Celui-ci répéta sa prière à Moku-halii : « Fais que le requin qui a la queue la plus courte soit mon ami et me protège. » Puis il jeta un morceau de lave, mais cette fois à dix mètres de l’autre côté. Les requins se ruèrent au bruit : dans leur précipitation, ils se cognaient les uns