Page:Londres - Au bagne.djvu/178

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— De Moukden.

Le patron, qui est de Moukden, tend les deux mains à la fois et ne donne le sec (verre de tafia) que lorsqu’il a reçu l’argent. Un libéré, debout, poitrine nue, sec en main, hoquette un vieil air — l’homme est sur la rive depuis vingt ans — des concerts démolis de la périphérie parisienne. Un Noir en extase et en faux col empesé soutient l’élégance du lieu. Des nègres bosch venant de « la Hollande », pagne en loques, cinq ou six cornes de cheveux sur le crâne (genre bigoudi), opposent à leur boschesse, nudité sombre, la résistance de l’ivrogne qui ne veut pas rentrer encore. Ils étaient sages naguère, mais ils gagnent de l’or à descendre des lingots et, maintenant, la civilisation a ouvert boutique chez eux !… Alors, on voit cinq ou six masques se faufiler par la petite porte. Ce sont les lépreux de l’île Saint-Louis. Il en est qui portent une paire de poulets. Ils n’ont pas d’argent, ils boiront pour deux poulets. Onze heures du soir. L’enfant de Moukden verrouille sa porte. C’est au complet. Cependant, les lépreux restés dans l’île ne dorment pas. Ils prêtent l’oreille.

De la brousse française, en face, presque chaque nuit, montent des cris. On dirait les cris des singes rouges. C’est l’appel de l’évadé. Le forçat imite si textuellement la bête que le lépreux ne bouge pas tout de suite. Il attend la nuance qui lui ôtera le dernier doute. Alors, ayant remonté sa barque noyée — ils ont deux barques — il s’en ira, frôlant le rayon