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LE VAINCU


J’ai joué. Mais bientôt, j’ai dû laisser ma bourse
À plus chanceux que moi. Battu de ce côté,
J’ai cherché dans la femme un peu de nouveauté.
Mais la femme est un loup qui poursuit la gazelle ;
Je n’ai pu ni chanter, ni m’entendre avec elle.
Aussi, las de rôder, il arriva qu’un jour
Je dus laisser mon cœur au ruisseau de l’amour.
Alors je me suis dit : « Tu vas rêver. Le rêve
« Chasse l’ennui de l’âme où son astre se lève ;
« Rien ne t’intéressant désormais sur le sol,
« Tu vas goûter l’ivresse angoissante du vol. »
Et l’on a pu me voir, le front dans la crinière,
Six ans, à tour de bras, cravacher la chimère.
Mais mon mauvais destin suivait ma trace, hélas !
Si bien que mon coursier ayant fait un faux pas,
J’ai dû laisser mon rêve au travers de la route.

Père, ô toi qui connais mieux l’existence, écoute :
Que peut faire un enfant, fût-il vaillant et fort,
Que submerge la vie et que défend la mort ?
Que peut faire un enfant que poursuit la main noire,
Vaincu d’argent, vaincu d’amour, vaincu de gloire ?
Oh ! que peut-il, sinon marcher droit devant soi,
Sans but, les yeux bandés, et l’esprit plein d’effroi ?