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LA CHINE EN FOLIE

Depuis que le dit tenancier m’avait vu revenir dans la voiture de Tsang, et que les boys contemplaient contre mon mur, en tremblant, le portrait en pied, dédicacé, de l’empereur forban, j’étais maître dans la boutique. Si j’avais dit : Cabaretier, prête-moi ta femme, il m’eût amené aussi sa concubine.

Le patron m’ouvrit son registre. Je lus : Kira Gordieff, 23 ans, venant de Harbin. D’un geste de geôlier, le Japonais me fit comprendre qu’elle était bouclée dans l’hôtel. Bien.

Le soir à huit heures, elle entra dans la salle à manger, tête blonde et âme visiblement chavirée. Elle portait par-dessus ses souliers d’élégantes galoches fourrées. Un renard blanc caressait son cou. Elle s’assit sur la chaise comme un oiseau se pose sur une branche. Elle mangeait sans enthousiasme mais à un moment elle sourit, remarquant que je la regardais.

Il y avait dans cette salle et qui dînaient, quatre Chinois boudinés dans une camisole bleue et ouatée ; cinq Japonais en kymono noir ; à eux les poissons crus dont les morceaux vivants sautent encore quand ils sont dans la bouche ! et deux marchands mongols : bonnets à poil sur têtes de mort. Ces deux-là dégageaient à dix pas une odeur de