Et j’arrivai à la montagne de savon. Pendant trois heures j’allais me comporter ainsi que la pierre de Sisyphe. Tous les cent mètres je glissais et, après avoir tourné comme une toupie ivre, interrompant mon ascension, je piquais du nez ou je m’étalais sur le dos. Pour faciliter la tâche je me déchaussais. Hélas, la plante de mes pieds ne valait pas mieux que la semelle de mes brodequins. Mais eux, les porteurs, montaient toujours avec trente kilos sur la tête, les doigts de pieds habiles, le buste droit. Leur fatigue ne se voyait pas. Le nègre est une extraordinaire machine, dure à la peine et fragile à la bise.
On atteignit le sommet. On redescendit.
— Saras ! Saras !
Le cri ne me poursuivait pas. La forêt parlait de nouveau. Deux cents nègres, sur le sentier même, étaient accroupis le long d’un gros arbre abattu. C’était une pile de pont. Ni cordes ni courroies, les mains des nègres seulement pour tout matériel. La pile n’avançait pas. Comme chefs : deux miliciens, trois capitas, pas un blanc.
— Coucez ! Coucez ! (couchez) hurlaient les gradés.
De chaque côté de l’arbre, cent nègres étaient courbés.
— Les mains ! Les mains !
Ils mettaient les mains sous la pile.