Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/249

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Sanche.

Je ne songe qu’à m’acquitter de mon devoir. — Noble et illustre don Tello, et vous, belle Feliciana, seigneurs de ce pays qui vous est tout dévoué, veuillez permettre de baiser vos pieds à Sanche, — à Sanche, l’un des gardiens de vos troupeaux. C’est un office bien humble, il est vrai ; mais dans notre Galice le sang est si généreux, que la seule chose qui distingue le pauvre du riche, c’est que le premier est obligé de servir. Je suis pauvre, et dans une condition tellement inférieure, que sans doute vous ne me connaissez pas, d’autant qu’il y a cent trente personnes qui vivent de votre pain et attendent de vous leur salaire. Cependant il est possible qu’en chassant vous m’ayez aperçu.

Tello.

Oui, mon ami, je t’ai vu, je te connais, et je suis bien disposé pour toi.

Sanche.

Je vous suis bien reconnaissant, et je vous baise humblement les pieds.

Tello.

Que veux-tu ?

Sanche.

Seigneur, les années passent sans qu’on s’en aperçoive ; nous courons vers le trépas, et la vie n’est qu’un séjour dans une hôtellerie : on y arrive le soir, et l’on en sort le lendemain par la mort. Je suis le fils d’un homme qui n’a pas eu besoin de servir, et avec moi finit ma famille. J’ai demandé en mariage une honnête demoiselle, fille de Nuño de Aybar, lequel, bien que simple laboureur, a cependant au-dessus de sa porte des vestiges de vieilles armoiries, et aussi plus d’une lance du vieux temps. C’est cela, joint à la vertu d’Elvire (ainsi se nomme ma future), qui m’a déterminé. Elle consent, et son père aussi, mais il exige votre agrément. « Le seigneur, me disait-il ce matin, doit savoir tout ce qui se passe chez ses vassaux et chez tous ceux qui vivent de son bien, depuis le plus grand jusqu’au plus petit, et les rois ont tort de ne pas attacher la plus grande importance à ce point. » Moi, seigneur, d’après son avis et sur son ordre, je viens vous annoncer que je me marie.

Tello.

Nuño est un fin matois, et il t’a conseillé à merveille. — Celio !

Celio.

Seigneur !

Tello.

Tu donneras à Sanche vingt vaches et cent brebis ; ma sœur et moi, nous honorerons la noce de notre présence.

Sanche.

Quelle faveur signalée !