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Dans la cour de la ferme, les vaches, absorbées à tondre le gazon, levèrent alors la tête du côté de la maison, le museau tendu comme pour beugler, et, comprenant sans doute qu’elle n’y pouvaient rien, reprirent leur besogne, d’un œil toujours si mélancoliquement le même.

Chez les voisins, les femmes, elles aussi, devaient interrompre leur travail pour lancer d’abord un œil de stupeur, peut-on s’habituer à ces choses, puis de colère, puis de tristesse, oh, combien compatissant.

Tout à coup, les cris cessèrent subitement, à croire que Castor venait d’enfoncer son poing dans la gorge de sa victime. La lutte continuait pourtant, à en juger par le bruit.

Une fenêtre vola en éclats, puis, à la surprise indicible de Blanchette, la porte, ouverte, avec fracas, livra passage à Déric Castor lui-même, oui, Déric Castor mal en équilibre et qui prit l’escalier de reculons pour venir, après quelques pivotages, s’abattre sur son derrière dans l’allée du jardin, la tête ébouriffée, les yeux bêtes et les cuisses niaisement écartées.

Ma’me Castor apparaissait dans sa porte, en désordre mais non défaite, les coudes légèrement éloignés du corps, comme si ses poings lui pesaient au bout des bras.

— Déric ! prononça-t-elle, en pleine maîtrise d’elle-même, j’veux pas t’revoir dans la maison, d’icitte à à soir ! Tu m’entends ? Ah, tu créais que j’étais pas capable d’apprendre à m’battre ?… Ça fait trois ans que ça dure, Déric. J’connais tes coups, à c’t’heure !… pis t’as besoin de t’tenir d’aplomb rapport que ça va être glissant !…

Et tournant le dos, les épaules hautes, elle referma la porte avec bruit, comme l’autre jadis.

— Ah, c’est donc ça, s’exclama-t-on au village qu’a’elle s’plaignait point ! Tiens, c’t’homme ! mais i’l’endurcissait de jour en jour !…

— C’est ça, conclut Blanchette, a’lle l’étudiait…