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Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/35

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déjà estompés de Triel aux fantasques montagnes de Lang-Son.

La lune venait d’apparaître dans le ciel et son fin croissant, pareil à un mince bracelet d’argent brisé, luisait doucement au-dessus du haut rideau de trembles et, comme épanoui dans la nuit, tout le visage de l’adorée était devenu lumineux, dégageait une réelle clarté en même temps que la voix s’alentissait, heureuse, en douce mélopée, comme une voix de récitante : on eût dit qu’elle se contait quelque conte à elle-même.

J’ai su depuis à quelle voix elle prêtait l’oreille en s’étourdissant ainsi de questions dans la nuit. Cette transfiguration de toute sa face, c’était le resplendissement du mensonge ; cette nuit-là, dans la solitude de l’île moirée de lune et frissonnante de saules, c’est à l’autre qu’elle songeait ; près de moi, devant moi c’est lui, le premier amant, le seul qu’elle ait aimé, le seul qu’elle aime encore malgré son abandon et ses vices crapuleux d’ancien marin retour des colonies, c’est cet homme qu’elle évoquait dans ce verbiage de petite fille curieuse du Tonkin, et c’est sa voix, sa voix de médaillé racontant ses campagnes qu’elle écoutait chanter dans la