Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/249

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en rade, c’était le commencement de la désagrégation du navire et de l’équipage ; rien ne se tenait plus, et on sentait déjà le « désarmement », la dispersion prochaine et définitive de tous ces hommes, de toutes ces choses qui, pendant plus de deux ans, s’étaient promenés sur les mers lointaines, si étroitement groupés, formant un ensemble, un même corps, ayant, en commun, un nom, un amour-propre et presque une âme.

Il faisait assez beau, sur cette rade française revue au printemps, avec toutefois des menaces de vent et de pluie, suspendues sous forme de gros nuages voyageurs, dans l’air humide, dans l’air frissonnant et inquiet.

On était allé chercher la Santé, c’est-à-dire la permission de communiquer avec le monde extérieur, avec cette France retrouvée. Et quelques canots arrivaient à l’entour de la Saône, lourds et rudes canots de la rade de Brest, gréés pour les continuels mauvais temps, voilés de grosse toile brune, et tout éraillés par les coups de mer.