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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/101

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dames avec une grâce stupéfiante, pour avoir épousé tel chambellan ou tel autre seigneur. Elles ont des regards de pitié, les belles Saraylis, pour les petites citadines au corps fragile, aux yeux cernés, au teint de cire, qu’elles nomment les « dégénérées » ; c’est leur rôle, à elles et à leurs milliers de sœurs que l’on vient vendre ici tous les ans, leur rôle d’apporter, dans la vieille cité fatiguée, le trésor de leur sang pur.

Grande gaieté parmi les convives. On parle et on rit de tout. Un souper de mariage, pour nous autres Turques, est toujours une occasion d’oublier, de se détendre et de s’étourdir. D’ailleurs, André, nous sommes foncièrement gaies, je vous assure ; sitôt qu’un rien nous détourne de nos contraintes, de nos humiliations quotidiennes, de nos souffrances, nous nous jetons volontiers dans l’enfantillage et le fou rire. — On m’a conté qu’il en était de même dans les cloîtres d’Occident, les religieuses les plus murées s’y amusant parfois entre elles à des plaisanteries d’école primaire. — Et une Française de l’ambassade, sur le point de retourner à Paris, me disait un jour :

— C’est fini, jamais plus je ne rirai d’aussi bon cœur, ni aussi innocemment du reste, que dans vos harems de Constantinople.

Le repas ayant pris fin, sur un toast au champagne en l’honneur de la mariée, les jeunes femmes assises à ma table proposent de laisser reposer l’orchestre turc et de faire de la musique européenne. Presque toutes sont d’habiles exécutantes, et il s’en trouve de merveilleuses ; leurs doigts, qui ont eu tant de loisirs pour s’exercer, arrivent le plus souvent à la perfection impeccable. Beethoven, Grieg, Liszt ou Chopin leur sont familiers. Et, pour le chant, c’est Wagner, Saint-Saëns, Holmès ou même Chaminade.

Hélas ! je suis obligée de répondre, en rougissant, qu’il