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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/110

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froide de tomber, ou bien la neige, et des gens vinrent linviter à des dîners, à des soirées dans des cercles. Alors il sentit que ce monde-là, cette vie-là, non seulement lui rendraient vide et agité son nouveau séjour en Orient, mais risquaient aussi de gâter à jamais ses impressions dautrefois, peut— être même dembrumer limage de la pauvre petite endormie. Depuis qu’il était à Constantinople, ses souvenirs, dheure en heure, seffaçaient davantage, sombraient sous la banalité ambiante ; il lui paraissait que ces gens de son entourage les profanaient chaque jour, piétinaient dessus. Et il décida de sen aller. Perdre son poste à lambassade, bien entendu, lui était secondaire. Il sen irait.

Depuis larrivée, depuis tantôt quinze jours, mille choses quelconques venaient dabsorber à ce point son loisir qu’il navait même pas pu passer les ponts de la Corne-dOr pour aller jusquà Stamboul. Cette grande ville, qu’il apercevait du haut de son logis, le plus souvent noyée dans les brouillards persistants de lhiver, restait pour lui presque aussi lointaine et irréelle quavant son retour en Turquie. Il sen irait ; cétait bien résolu. Le temps de faire un pèlerinage, là— bas, sous les cyprès, à la tombe de Nedjibé, et, laissant tout, il reprendrait le chemin de France ; par respect pour le cher passé, par déférenoe religieuse pour elle il repartirait avant le plus complet désenchantement.