Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il faut avoir vécu en Orient pour comprendre l’émotion étonnée d’André, et toute la nouveauté de son amusement, à s’avancer ainsi vers des Turques voilées, alors qu’il s’était habitué depuis toujours à considérer cette classe de femmes comme absolument inapprochables… Était-ce réellement possible ! Elles l’avaient appelé, elles l’attendaient, et on allait se parler !…

Quand elles l’entendirent tout près, elles se retournèrent:

« Monsieur André Lhéry, n’est-ce pas ? » demanda l’une, qui avait la voix infiniment douce, timide, fraîche, et qui tremblait.

Il salua pour toute réponse ; alors, des trois tcharchafs noirs, il vit sortir trois petites mains gantées à plusieurs boutons, qu’on lui tendait et sur lesquelles il s’inclina successivement.

Elles avaient au moins double voile sur la figure; c’étaient trois énigmes en deuil, trois Parques impénétrables.

« Excusez-nous, reprit la voix qui avait déjà parlé, si nous ne vous disons rien ou des bêtises : nous sommes mortes de peur… » Cela se devinait du reste.

"Si vous saviez, dit la seconde voix, ce qu’il a fallu de ruses pour être ici !… En route, ce qu’il a fallu semer de gens, de nègres, de négresses !…