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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/124

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— Et ce cocher, dit la troisième, que nous ne connaissons pas et qui peut nous perdre !…"

Un silence. Le vent glacé s’engouffrait dans les soies noires ; il coupait les respirations. L’eau du Bosphore, qu’on apercevait entre les platanes, était blanche d’écume. Aux arbres, les quelques nouvelles feuilles à peine ouvertes s’arrachaient pour s’envoler.

Sans les fleurettes du chemin, qui se courbaient sous les robes traînantes, on se serait cru en hiver. Machinalement, ils faisaient les cent pas tous ensemble, comme des amis qui se promènent ; mais ce lieu écarté, ce mauvais temps, tout cela était un peu lugubre et plutôt de triste présage pour cette rencontre.

Celle qui la première avait ouvert la bouche, et qui semblait la meneuse du périlleux complot, recommença de parler, de dire n’importe quelle chose, pour rompre le silence embarrassant :

"Vous voyez, nous sommes venues trois…

— En effet, je vois ça—répondit André qui ne put s’empêcher de sourire.

— Vous ne nous connaissez pas, et pourtant vous êtes notre ami depuis des années.

— Nous vivons avec vos livres, ajouta la seconde.

— Vous nous direz si elle est vraie, l’histoire de « Medjé », demanda la troisième.

Maintenant voici qu’elles parlaient toutes à la fois, après le mutisme du début, comme des petites personnes