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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/133

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point des femmes, ainsi que nous vous le disions nous-mêmes, mais des âmes, une âme : celle de la musulmane nouvelle, dont l’intelligence s’est affranchie, et qui souffre, mais en aimant la souffrance libératrice, et qui est venue vers nous, son ami d’hier.

Maintenant, pour devenir son ami de demain, il vous faut apprendre à voir autre chose en elle qu’un joli amusement de voyage, une jolie figure marquant une étape enchantée de votre vie d’artiste. Qu’elle ne soit pas plus maintenant pour vous l’enfant sur qui vous vous êtes penché, ni l’amante aisément heureuse par l’aumône de votre tendresse. Vous devrez, si vous tenez à ce qu’elle vous aime, recueillir les premières vibrations de son âme qui s’éveille enfin.

Votre « Medjé » est au cimetière. Merci en son nom, et au nom de toutes, pour les fleurs jetées par vous sur la tombe de la petite esclave. En ces jours de votre jeunesse, vous avez cueilli le bonheur sans effort, là où il était à portée de votre main. Mais la petite Circassienne, que l’entraînement jeta dans vos bras, ne se retrouve plus, et le temps est venu où, pour la musulmane même, l’amour d’instinct et l’amour d’obéissance ont cédé la place à l’amour de choix.

Et le temps aussi est venu pour vous de chercher et de décrire dans l’amour autre chose que le côté pittoresque et sensuel. Essayez, par exemple, d’extérioriser aujourd’hui votre cœur jusqu’à lui faire sentir l’amertume de cette souffrance suprême qui est la nôtre : ne pouvoir aimer qu’un rêve.

Car, toutes, nous sommes condamnées à n’aimer que cela.

On nous marie, vous savez de quelle manière ?… Et pourtant ce semblant de ménage à l’européenne, installé depuis une génération dans nos demeures occidentalisées, là où régnaient jadis les divans de satin et les odalisques, représente déjà un progrès qui nous flatte, — bien que