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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/155

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Recommander à André de mettre un fez pour aller à Eyoub était bien inutile, car, en souvenir du passé, jamais il n’aurait voulu paraître autrement dans ce quartier qui avait été le sien. Depuis son retour à Constantinople, il revenait là pour la première fois, et, au sortir du caïque, en posant le pied sur ces marches toujours les mêmes, avec quelle émotion il reconnut toutes choses, dans ce recoin d’élection, si épargné encore ! Le vieux petit café, maisonnette de bois vermoulu, s’avançant sur pilotis vers l’eau tranquille, n’avait pas changé depuis l’époque de sa jeunesse. En compagnie de Jean Renaud, aussi coiffé d’un fez, et qui avait la consigne de ne pas parler, quand il entra prendre place dans l’antique petite salle, tout ouverte à l’air pur et à la fraîcheur du golfe, il y avait là, sur les humbles divans recouverts d’indienne bien lavée, des chats câlins sommeillant au soleil, et trois ou quatre personnages en longue robe et turban qui contemplaient le ciel bleu. Partout alentour régnaient cette immobilité, cette indifférence à la fuite du temps, cette sagesse résignée et très douce, qui ne se trouvent qu’en pays d’Islam, dans le rayonnement isolateur des mosquées saintes et des grands cimetières.

Il s’assit sur les banquettes en indienne, avec son complice d’aventure dangereuse, et bientôt leurs fumées de narguilé se mêlèrent à celles des autres