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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/178

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laissa fumer et entendre les oiseaux chanteurs. Il passait des dames en domino tout noir, d’autres enveloppées dans ces voiles de Damas qui sont en soie rouge ou verte avec grands dessins d’or ; il passait des marchands de « mou », et alors quelques bons Turcs, même de belle robe et de belle allure, en achetaient gravement un morceau pour leur chat, et l’emportaient à l’épaule, piqué au bout de leur parapluie ; il passait des Arabes du Hedjaz, en visite à la ville du Khalife, ou encore des derviches quêteurs, à longs cheveux, qui revenaient de la Mecque. Et un bonhomme, de cent ans, au moins, pour un demi-sou laissait faire aux bébés turcs deux fois le tour de la place, dans une caisse à roulettes qu’il avait très magnifiquement peinturlurée, mais qui cahotait beaucoup, sur l’antique pavage en déroute. Auprès de ces mille toutes petites choses, indiquant de ce peuple le côté jeune, simple et bon, la mosquée d’en face se dressait plus grande, majestueuse et calme, superbe de lignes et de blancheur, avec ses deux flèches pointées dans ce ciel pur du 1er mai.

Oh ! les doux et honnêtes regards, sous ces turbans, les belles figures de confiance et de paix, encadrées de barbes noires ou blondes ! Quelle différence avec ces Levantins en veston qui, à cette même heure, s’agitaient sur les trottoirs de Péra, —ou avec les foules de nos villes occidentales, aux yeux de cupidité et