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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/185

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vous bien tout ce qu’il nous faut déployer de ruse, acheter de complicités pour vous recevoir ?

Cela pressait, paraît-il, les photos, à cause d’un rayon de soleil, renvoyé par la triste maison d’en face, et qui jetait son reflet dans la petite salle grillée, mais qui remontait lentement vers les toits, prêt à fuir. On recommença deux ou trois poses, toujours Djénane auprès d’André, et toujours Djénane sous ses draperies noires d’élégie.

— Vous représentez-vous bien, leur dit-il, ce que c’est nouveau pour moi, étrange, inquiétant presque, de causer avec des êtres aussi invisibles ? Vos voix mêmes sont comme masquées par ces triples voiles. À certains moments, il me vient de vous une vague frayeur.

— C’était dans nos conventions, cela, que nous ne serions pour vous que des âmes.

— Oui, mais les âmes se révèlent à une autre âme surtout par l’expression des yeux… Vos yeux, à vous, je ne les imagine même pas. Je veux croire qu’ils sont francs et limpides, mais seraient-ils même effroyables comme ceux des goules, je n’en saurais rien. Non, je vous assure, cela me gêne, cela m’intimide et m’éloigne. Au moins, faites une chose ; confiez-moi vos portraits, dévoilées… Sur l’honneur, je vous les rends aussitôt, ou bien, si quelque drame nous sépare, je les brûle.