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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/20

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non, cette dame-là s’amusait de lui, par exemple ! Son langage était trop moderne, son français trop pur et trop facile. Elle avait beau citer le Coran, se faire appeler Zahidé Hanum, et demander réponse poste restante avec des précautions de Peau Rouge en maraude, ce devait être quelque voyageuse de passage à Constantinople, ou la femme d’un attaché d’ambassade, qui sait ? ou, à la rigueur, une Levantine éduquée à Paris ?

La lettre cependant avait un charme qui fut le plus fort, car André, presque malgré lui, répondit sur l’heure. Du reste, il fallait bien témoigner de sa connaissance du monde musulman et dire, avec courtoisie toutefois : « Vous, une dame turque ! Non, vous savez, je ne m’y prends pas !… »

Incontestable, malgré l’invraisemblance, était le charme de cette lettre… Jusqu’au lendemain, où, bien entendu, il cessa d’y penser, André eut le vague sentiment que quelque chose commençait dans sa vie, quelque chose qui aurait une suite, une suite de douceur, de danger et de tristesse.

Et puis aussi, c’était comme un appel de la Turquie à l’homme qui l’avait tant aimée jadis, mais qui n’y revenait plus. La mer de Biscaye, ce jour-là, ce jour d’avril indécis, dans la lumière encore hivernale, se révéla tout à coup d’une mélancolie intolérable à ses yeux, mer pâlement verte avec les grandes volutes de sa