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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/211

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difficile, qui avait été depuis longtemps la préoccupation de ses nuits ; pendant des années, au cours de ses voyages et des agitations de son existence errante, même au bout du monde, il avait tant de fois dans ses insomnies songé à cela, qui ressemblait aux besognes infaisables des mauvais rêves : au milieu d’un saint cimetière de Stamboul, relever ces humbles marbres qui se désagrégeaient… Aujourd’hui donc, c’était chose accomplie. Et puis elle lui semblait tout à fait sienne, la chère petite tombe, à présent qu’elle était remise debout par sa volonté, et que c’était lui qui l’avait fait consolider pour durer.


Comme il se sentait l’âme très turque, par ce beau soir de limpidité tiède, où bientôt la pleine lune allait rayonner toute bleue sur la Marmara, il revint à Stamboul quand la nuit fut tombée et monta au cœur même des quartiers musulmans, pour aller s’asseoir dehors, sur l’esplanade qui lui était redevenue familière, devant la mosquée de Sultan-Fatih. Il voulait songer là, dans la fraîcheur pure du soir et dans la délicieuse paix orientale, en fumant des narguilés, avec beaucoup de magnificence mourante autour de soi, beaucoup de délabrement, de silence religieux et de prière.

Sur cette place, quand il arriva, tous les petits cafés d’alentour avaient allumé leurs modestes lampes ; des