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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/213

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dessus de cette façade de Sultan-Fatih ; lentement elle se dégageait, montait toute ronde, toute en argent bleuâtre, et si libre, si aérienne, au-dessus de cette massive chose terrestre ; donnant si bien l’impression de son recul infini et de son isolement dans l’espace !… La clarté bleue gagnait de plus en plus partout ; elle inondait peu à peu les sages et pieux fumeurs, tandis que la place déserte demeurait dans l’ombre des grands murs sacrés. En même temps, cette lueur lunaire imprégnait une fraîche brume de soir, exhalée par la Marmara, qu’on n’avait pas remarquée plus tôt, tant elle était diaphane, mais qui devenait aussi du bleuâtre clair enveloppant tout, et qui donnait l’aspect vaporeux à cette muraille de mosquée, si lourde tout à l’heure. Et les deux minarets plantés dans le ciel semblaient transparents, perméables aux rayons de lune, donnaient le vertige à regarder, dans ce brouillard de lumière bleue, tant ils étaient agrandis, inconsistants et légers…

À cette même heure, il existait de l’autre côté de la Corne-d’Or, —en réalité pas très loin d’ici, mais à une distance qui pourtant semblait incommensurable, —il existait une ville dite européenne et appelée Péra, qui commençait sa vie nocturne. Là, des Levantins de toute race (et quelques jeunes Turcs aussi, hélas !) se croyant parvenus à un enviable degré de civilisation, à cause de leurs habits parisiens (ou à peu près), s’