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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/214

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s’empilaient dans des brasseries, des « beuglants » ineptes, ou autour des tables de poker, dans les cercles de la haute élégance Pérote… Quels pauvres petits êtres il y a par le monde !…

Pauvres êtres, ceux-là, agités, déséquilibrés, vides et mesquins, maintenant sans rêve et sans espérance ! Très pauvres êtres, auprès de ces simples et de ces sages d’ici, qui attendent que le muezzin chante là-haut dans l’air, pour aller pleins de confiance s’agenouiller devant l’inconnaissable Allah, et qui plus tard, l’âme rassurée, mourront comme on part pour un beau voyage !…

Les voici qui entonnent le chant d’appel, les voix attendues par eux. Des personnages qui habitent le sommet de ces flèches perdues dans la vapeur lumineuse du ciel ; des hôtes de l’air, qui doivent en ce moment voisiner avec la Lune, vocalisent tout à coup comme des oiseaux, dans une sorte d’extase vibrante qui les possède. Il a fallu choisir des hommes au gosier rare, pour se faire entendre du haut de si prodigieux minarets ; on ne perd pas un son ; rien de ce qu’ils disent en chantant ne manque de descendre sur nous, précis, limpide et facile…

L’un après l’autre, les rêveurs se lèvent, entrent dans la zone d’ombre où l’esplanade est encore plongée, la traversent et se dirigent lentement vers la sainte porte. Par petits groupes d’abord de trois, de quatre, de