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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/216

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deux mille prières de tous ces hommes attentifs ; à son appel, d’abord ils tombent à genoux ; ensuite, se prosternent en humilité plus grande, et enfin se jettent le front contre terre, tous en même temps d’un régulier mouvement d’ensemble, comme fauchés à la fois par ce chant triste et pourtant si doux, qui passe sur leurs têtes, qui s’affaiblit par instants jusqu’à n’être qu’un murmure, mais qui remplit quand même la nef immense.

Très peu éclairé, le vaste sanctuaire ; rien que des veilleuses, pendues à de longs fils qui descendent çà et là des voûtes sonores ; sans la pure blancheur de toutes les parois, on y verrait à peine. Il se fait par instants des bruits d’ailes : les pigeons familiers, ceux qu’on laisse nicher là-haut dans les tribunes ; réveillés par ces petites lumières et par les frôlements légers de toutes ces robes, ils prennent leur vol et tournoient, mais sans effroi, au-dessus des milliers de turbans assemblés. Et le recueillement est si absolu, la foi si profonde, quand les fronts se courbent sous l’incantation de la petite voix haute et tremblante, qu’on croit la sentir monter comme une fumée d’encensoir, leur silencieuse et innombrable prière…

Oh ! puissent Allah et le Khalife protéger et isoler longtemps le peuple turc religieux et songeur, loyal et bon, l’un des plus nobles de ce monde, et capable d’énergies terribles, d’héroïsmes sublimes sur les champs