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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/218

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d’être si bien réveillée, — un jour de caprice et de pire solitude morale, irritées contre cette barrière infranchissable à laquelle nous nous heurtons toujours et qui nous meurtrit, nous sommes parties bravement à la découverte du personnage que vous pouviez bien être. De tout cela, défi, curiosité, était fait notre premier désir d’entrevue.

Nous avons rencontré un André Lhéry tout autre que nous l’imaginions. Et maintenant, le vrai vous que vous nous avez permis de connaître, jamais nous ne l’oublierons plus. Mais il faut pourtant l’expliquer, cette phrase, qui, d’une femme à un homme, a l’air presque d’une galanterie pitoyable. Nous ne vous oublierons plus parce que, grâce à vous, nous avons connu ce qui doit faire le charme de la vie des femmes occidentales : le contact intellectuel avec un artiste. Nous ne vous oublierons jamais parce que vous nous avez témoigné un peu de sympathie affectueuse, sans même savoir si nous sommes belles ou bien des vieilles masques ; vous vous êtes intéressé à cette meilleure partie de nous-mêmes, notre âme, que nos maîtres jusqu’ici avaient toujours considérée comme négligeable ; vous nous avez fait entrevoir combien pouvait être précieuse une pure amitié d’homme.


C’était donc décidément ce qu’il avait pensé : un gentil flirt d’âmes, et rien de plus ; un flirt d’âmes, avec beaucoup de danger autour, mais du danger matériel et aucun danger moral. Et tout cela resterait blanc comme neige, blanc comme ces dômes de mosquée au clair de lune.

Il l’avait sur lui, cette lettre de Djénane, reçue tout à l’heure à Péra, et il la reprit, pour la relire plus tran-