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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/221

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, achevait de mettre sa conscience en repos vis-à-vis des cimetières.

Et, dans l’admirable nuit, il songeait au passé et au présent ; en général, il lui semblait qu’entre la première phase, si enfantine, de sa vie turque, et la période actuelle, le temps avait creusé un abîme ; ce soir, au contraire, était un des moments où il les voyait le plus rapprochées comme en une suite ininterrompue. À se sentir là, encore si vivant et jeune, quand elle, depuis si longtemps, n’était plus rien qu’un peu de terre, parmi d’autre terre dans l’obscurité d’en dessous, il éprouvait tantôt un remords déchirant et une honte, tantôt, —dans son amour éperdu de la vie et de la jeunesse, —presque un sentiment d’égoïste triomphe…

Et, pour la seconde fois, ce soir, il les associait dans son souvenir, Nedjibé, Djénane:elles étaient du même pays d’ailleurs, toute deux Circassiennes ; la voix de l’une, à plusieurs reprises, lui avait rappelé celle de l’autre; il y avait des mots turcs qu’elles prononçaient pareillement…

Il s’aperçut tout à coup qu’il devait être fort tard, en entendant, du côté des arbres en fouillis sombre, des sonnailles de mules, —ces sonnailles toujours si argentines et claires dans les nuits de Stamboul:l’arrivée des maraîchers, apportant les mannequins de fraises, de fleurs, de fèves, de salades, de toutes ces