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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/222

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choses de mai, que viennent acheter de grand matin, autour des mosquées, les femmes du peuple au voile blanc. Alors il regarda autour de lui et vit qu’il restait seul et dernier fumeur sur cette place. Presque toutes les lanternes des petits cafés s’étaient éteintes. La rosée se déposait sur ses épaules qui se mouillaient, et un jeune garçon, debout derrière lui, adossé à un arbre, attendait docilement qu’il eût fini, pour emporter le narguilé et fermer sa porte.

Près de minuit. Il se leva pour redescendre vers les ponts de la Corne— d’Or et passer sur l’autre rive où il demeurait. Plus aucune voiture bien entendu, à une heure pareille. Avant de sortir du Vieux-Stamboul, endormi sous la lune, un très long trajet à faire dans le silence, au milieu d’une ville de rêve, aux maisons absolument muettes et closes, où tout était comme figé maintenant par les rayons d’une grande lumière spectrale trop blanche. Il fallait traverser des quartiers où les petites rues descendaient, montaient, s’enlaçaient comme pour égarer le passant attardé, qui n’eût trouvé personne du reste pour le remettre dans son chemin ; mais André en savait par cœur les détours. Il y avait aussi des places pareilles à des solitudes, autour de mosquées qui enchevêtraient leurs dômes et que la lune drapait d’immenses suaires blancs. Et partout il y avait des cimetières, fermés par des grilles antiques aux dessins arabes, avec des veilleuses à petite flamme jaune,