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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/240

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Ce n’est ni la mort, ni le bonheur que nous avons attrapé dans cette course, mais notre ami, qui faisait son pacha, dans un beau caïque aux rameurs rouges et dorés. Et moi, j’ai croisé en plein vos yeux, qui regardaient dans la direction des miens sans les voir.

Depuis notre retour ici, nous sommes au peu grisées, comme des captives qui sortiraient de cellule pour reprendre la prison simple : si vous saviez, malgré la magnificence des roses, ce que c’était, là-bas d’où nous venons !… Quand on est, comme vous, quelqu’un de l’Occident fiévreux et libre, est-on capable de sentir l’horreur de nos existences mortes, de nos horizons où n’apparaît qu’une seule chose : aller là-bas dormir à l’ombre d’un cyprès, au cimetière d’Eyoub, après que l’Imam aura bien dit les prières qu’il faut !

DJÉNANE.


Nous vivons comme ces verreries précieuses, vous savez, que l’on tient emballées dans des caisses pleines de son. Tous les chocs, on s’imagine ainsi nous les éviter, mais il nous arrivent quand même, et alors les cassures vives, avec les deux morceaux en perpétuel contact, nous font un mal sourd, profond et horrible…

ZEYNEB.


Je suis la seule personne de bon sens dans le trio, ami André, vous vous en êtes certainement déjà aperçu. Les deux autres, — ceci tout à fait entre nous, n’est-ce pas, — sont un peu » maboul ». Surtout Djénane, qui veut bien continuer à vous écrire, mais ne plus vous revoir. Heureusement que je suis là, moi, pour arranger les choses. Répondez-nous à l’ancienne adresse (Madame Zahidé, vous vous rappelez ?). Après-demain nous avons une amie sûre qui doit aller en ville et passer à la poste restante.

MÉLEK.