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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/250

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je ne sais combien de minutes après : « Rentre dans ton appartement, me dit-elle, avec une douceur tranquille ; va, ma pauvre petite, ils n’y sont plus. »

Dans mon boudoir, seule, les portes fermées, je me jetai sur une chaise longue, et j’y pleurai jusqu’à m’endormir épuisée. Oh ! ensuite, à l’aube, ce réveil ! Retrouver cela dans sa mémoire, recommencer à penser, se dire qu’il faut prendre un parti. J’aurais voulu les haïr, et il n’y avait en moi que de la douleur, pas de la haine ; de la douleur et de l’amour.

Il était grand matin, le jour commençait à peine. J’entendis des pas s’approcher de ma porte, ma belle-mère entra, et je vis d’abord que ses yeux avaient pleuré. « Durdané est partie, me dit-elle ; je l’ai envoyée loin d’ici, chez une de nos parentes. » Puis, s’asseyant près de moi, elle ajouta que ces choses arrivent tous les jours dans la vie ; que les caprices d’un homme ont moins de conséquences que ceux du vent ; que je devais rentrer dans ma chambre, me faire très belle, et sourire à Hamdi ce soir, quand il rentrerait du palais ; il était très malheureux, paraît-il, et ne voulait pas m’approcher avant que je fusse consolée.

Dans l’après-midi, on m’apporta des blouses de soie, des dentelles, des éventails, des bijoux.

Alors, je priai seulement, qu’on me laissât seule dans ma chambre. Je voulais essayer de voir clair au fond de moi-même. Pensez donc que la veille j’étais rentrée au harem toute vibrante d’un sentiment nouveau ; j’y avais apporté tout le printemps des îles, ses parfums et ses chansons, et les baisers cueillis là dans l’air, et tout le frisson d’un réveil amoureux…

Le soir Hamdi vint chez moi, tranquille, un peu pâle. Tranquille moi-même, je lui demandai simplement de me dire la vérité : m’aimait-il encore, ou non ? Je serais retournée chez ma grand’mère, pour le laisser libre.