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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/251

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sourit et me prit dans ses bras. « Quelle enfant tu es, me dit— il ; voyons, pourrais-je cesser de t’aimer ? » Et il me couvrait de baisers, me grisait de caresses.

Je tentai pourtant de demander comment il avait pu aimer l’autre, s’il m’aimait toujours… Oh ! André, alors j’ai appris à juger les hommes, — ceux de chez nous du moins : celui-là n’avait même pas le courage de son amour ! Cette Durdané, mais non il ne l’aimait point. Une fantaisie seulement à cause de ses prunelles vertes, de son corps onduleux lorsqu’elle dansait le soir. Et puis elle prétendait connaître des arts subtils pour ensorceler les hommes, et il avait voulu tenter l’épreuve. D’ailleurs, qu’est-ce que cela pouvait bien me faire ? Sans ma rentrée à l’improviste, l’aurais-je même su jamais ?

Oh ! de l’entendre, quelle pitié et quel dégoût au fond de moi-même, pour elle, pour lui, et pour moi qui voulais pardonner ! Je souffrais moins cependant, depuis que j’étais renseignée : ainsi donc, ce corps souple et ces yeux d’eau, c’était là tout ce que Hamdi avait aimé chez l’autre ! Eh bien ! je me savais plus jolie qu’elle ; moi aussi j’avais des prunelles vertes, d’un vert de mer plus sombre et plus rare que le sien, et, s’il suffisait avec lui d’être jolie et amoureuse, j’étais les deux à présent.

Et la campagne de reconquête commença. Oh ! ce ne fut pas long ; le souvenir de Durdané ne pesa plus lourd bientôt sur la mémoire de son amant… Mais jamais de ma vie je n’ai connu de jours plus lamentables. Je sentais tout ce qui était en moi de haut et de pur s’en aller, s’effeuiller comme des roses qui se fanent près du feu. Je n’avais plus une pensée en dehors de celle-ci : lui plaire, lui faire oublier l’amour de l’autre dans un amour plus grand.

Mais bientôt, quelle horreur de m’apercevoir qu’avec le mépris croissant de moi-même, me venait peu à peu la haine de celui pour qui je m’avilissais ! Car j’étais devenue tout