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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/252

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tout à fait et uniquement une poupée de plaisir. Je ne songeais qu’à être belle, à l’être chaque jour d’une manière différente. À pleines caisses, arrivaient de Paris les toilettes du soir, les « déshabillés », les parfums, les fards ; tous les artifices de la coquetterie d’Occident et ceux de notre coquetterie orientale étaient devenus mon seul souci. Je n’entrais plus jamais dans mon boudoir, par crainte des reproches muets de mes livres délaissés ; là flottaient des pensées si différentes, hélas ! de celles d’à présent…

La Djénane amoureuse avait beau faire, elle pleurait sur la Djénane d’autrefois qui avait essayé d’avoir une âme… Et comment vous exprimer cette torture, quand je sentis enfin bien nettement que mes caresses étaient fausses, que mes baisers mentaient, que chez moi l’amour n’était plus !

Mais il m’aimait, lui, maintenant, avec une ardeur qui devenait pour moi une épouvante ; quel parti prendre pour échapper à ses bras, que faire pour ne pas prolonger cette honte ? Je ne vis d’autre issue que la mort, et je voulus l’avoir là, toujours préparée, et tout près de moi, sur cette table de toilette devant laquelle à présent j’étais constamment assise ; une mort bien douce et prompte, à portée de ma main, dans un flacon d’argent pareil à mes flacons de parfum.

C’est là que j’en étais, quand un matin, entrant dans le salon de ma belle-mère Émiré Hanum, je trouvai deux visiteuses qui remettaient leur tcharchaf pour partir : Durdané et la tante éloignée qui en avait pris charge. Elle souriait, comme toujours, cette Durdané, mais aujourd’hui avec un petit air de triomphe, tandis que les deux vieilles dames paraissaient bouleversées. Mois au contraire, je me sentais si calme. Je remarquai que sa robe, en drap beige, était un peu flottante, que sa taille semblait épaissie et ses mouvements plus lourds : elle acheva lentement de fixer son tcharchaf, son voile, nous salua et sortit. « Qu’est-elle venue faire ? » demandai-je