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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/266

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le monde, à Constantinople, s’amusaient-elles à lui dire, personne ne vous croirait. »

Dans la petite maison de Stamboul, quand ils étaient ensemble, à causer comme de vieux amis, il arrivait maintenant que Zeyneb et Mélek relevaient leur voile, montraient l’ovale entier de leur visage, les cheveux seuls restant cachés sous la mante noire, et ainsi elles ressemblaient à des petites nonnains, toutes jeunes et élégantes. Djénane seule ne transigeait point ; rien ne pouvait se deviner de ses traits, aussi funèbrement enveloppés de noir que le premier jour, et, lui, tremblait d’en faire la remarque, prévoyant quelque réponse absolue qui enlèverait toute espérance de jamais connaître ses yeux.

Il osait aller quelquefois, le soir, après entente avec elles, les écouter faire de la musique, par ces nuits immobiles et perfides du Bosphore, qui n’ont pas un souffle, qui sont tièdes, enjôleuses, mais vous imprègnent tout de suite d’une pénétrante rosée froide. Presque chaque jour, l’été, le courant d’air violent de la Mer Noire passe dans ce détroit et le blanchit d’écume ; mais il ne manque jamais de s’apaiser au coucher du soleil, comme si on fermait soudain les écluses du vent ; dès le crépuscule, rien n’agite plus les arbres sur les rives, tout s’immobilise et se recueille ; la surface de la mer devient un miroir sans rides, pour les étoiles, pour la lune, pour les mille lumières