Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

maisons ou des palais ; une langueur orientale se répand, avec l’obscurité, sur ces bords extrêmes de l’Europe et de l’Asie qui se regardent, et l’humidité continuelle de ces parages enveloppe les choses d’une buée qui les harmonise et les grandit, les choses proches comme les choses lointaines, les montagnes, les bois, les mosquées, les villages turcs et les villages grecs, les petites baies asiatiques plus silencieuses que celles de la côte européenne et plus figées chaque soir dans leur calme absolu.

Entre Thérapia, où André habitait, et le yali de ses trois amies, il fallait, à l’aviron, presque une demi-heure.

La première fois, il avait pris son caïque, et c’était toujours un enchantement de circuler, la nuit, en cet équipage, de s’en aller ainsi presque à toucher l’eau même, et comme étendu sur ce beau miroir bleu pâle et argent que devenait la surface apaisée. La rive d’Europe, à mesure qu’on s’en éloignait, reprenait, elle aussi, du mystère et de la paix ; tous ses feux traçaient sur le Bosphore d’innombrables petites raies lumineuses qui avaient l’air de descendre jusqu’aux profondeurs d’en dessous ; ses musiques d’Orient dans les petits cafés en plein air, les vocalises étranges de ses chanteurs continuaient de vous suivre, portées et embellies par les sonorités de la mer ; même les affreux orchestres de Thérapia s’adoucissaient dans le lointain et