Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans la magie nocturne, jusqu’à être agréables à entendre. Et, là-bas en face, il y avait cette rive d’Asie, vers laquelle on se rendait, si voluptueusement couché ; ses fouillis d’épaisse verdure, ses collines tapissées d’arbres faisaient des masses noires, qui paraissaient démesurément grandes au— dessus de leurs reflets renversés ; quant à ses lumières, plus discrètes et plus rares, elles étaient projetées par des fenêtres garnies de grillages, derrière lesquels on devinait la présence des femmes qu’il ne faut pas voir.

Cette fois-là, en caïque, André n’osa pas s’arrêter sous les fenêtres éclairées de ses amies, et il passa son chemin. Ses rameurs, dont les broderies du reste brillaient trop à la lune, et pouvaient éveiller le soupçon de quelque nègre aux aguets sur la rive, ses rameurs étaient des Turcs, et, malgré leur dévouement, capables de le trahir, dans leur indignation, s’ils avaient flairé la moindre connivence entre leur maître européen et les femmes de ce harem.

Il revint les autres soirs dans la plus humble de ces barques de pêche qui se répandent par milliers toutes les nuits sur le Bosphore. Ainsi il put longuement s’arrêter, en faisant mine de tendre des filets ; il écouta Zeyneb qui chantait, accompagnée au piano par Mélek ou Djénane ; il connut sa jeune voix chaude. Une voix si belle et si naturellement posée, surtout en ses notes graves, —et où l’on sentait par instants une