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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/269

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une imperceptible fêlure, qui la rendait peut-être plus prenante encore, en la marquant pour bientôt mourir.

Vers la mi-septembre, ils osèrent une chose inouïe : gravir ensemble une colline toute rose de bruyères et se promener dans un bois. Cela se fit sans encombre au-dessus de Béicos, le point de la côte d’Asie qui est en face de Thérapia et qu’André avait adopté pour y venir chaque soir, au déclin du soleil. Comment dire le charme de ce Béicos, qui fit plus tard un de leurs lieux de rendez-vous les plus chers et les moins troublés par la crainte… De Thérapia, si niaisement agité avec ses prétentions mondaines, on arrive là, par contraste, dans le silence ombreux des grands arbres, dans la paix réfléchie du temps passé. Un petit débarcadère aux vieilles dalles blanches, et tout de suite on trouve une plaine édénique, sous des platanes de quatre cents ans, qui n’ont plus l’air d’appartenir à nos climats, tant ils ont pris avec les siècles des formes de baobab ou de banian indien. C’est une plaine parfaitement unie, qui est veloutée en automne d’une herbe plus fine que celle des pelouses dans nos jardins les mieux soignés, une plaine qui a l’air d’avoir été créée exprès pour les promenades de méditation et de sage mélancolie ; elle a juste la grandeur qu’il faut (une demi-lieu à peine) pour rester intime, sans que l’on s’y sente prisonnier ; elle est close de tous côtés par des collines solitaires, couvertes de bois, — et les Turcs,