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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/270

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de son charme unique, l’ont nommée « la Vallée-du-Grand— Seigneur ». On ne s’y doute point que le Bosphore est là tout près, avec son va-et-vient qui dérangeait le recueillement ; les collines vous le cachent. On y est isolé de tout, et on n’y entend aucun bruit, si ce n’est, à la tombée du soir, les chalumeaux des berges qui rassemblent leurs chèvres, dans les montagnes alentour. Les majestueux platanes, qui étendent sur la terre leurs racines comme d’énormes serpents, forment à l’entrée de cette plaine une sorte de bois sacré ; mais, plus loin, ils s’espacent, puis se rangent en allée, pour laisser libres les grandes pelouses où se promènent lentement, le soir, les musulmanes au voile blanc. Il y a aussi un ruisseau qui coule dans cette Vallée-du-Grand— Seigneur, un ruisseau frais, habité par des tortues ; des petits ponts en planches le traversent ; sur ses bords, à l’ombre de quelques vieux arbres, les marchands de café turc s’installent pour l’été dans des cabanes, et c’est là que les hommes prennent place pour fumer leur narguilé, le vendredi surtout, en regardant de loin les femmes voilées qui vont et viennent sur cette prairie des longs rêves. Elles marchent par groupes de trois, de quatre, de dix, ces femmes, un peu clairsemées là, un peu perdues, car ces pelouses déploient pour elles de très vastes tapis. Elles ont des vêtements tout d’une pièce et tout d’une couleur, — — souvent