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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/273

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elle méditait déjà ses continuelles fureurs et son tapage de l’hiver, pour quand recommencerait à se lever le terrible vent de Russie.

Le but de leur promenade était une vieille mosquée des bois, lieu de pèlerinage demi-abandonné, sur un plateau dominant cette mer des tempêtes, et battu en plein par les souffles du Nord. Il y avait là, dans une maison croulante, un petit café bien pauvre, tenu par un bonhomme tout blanc. Ils s’assirent devant la porte, pour regarder dormir au-dessous deux cette immensité pâle. Les quelques arbres, ici, se penchaient échevelés, tous dans la même direction, ayant cédé à la longue sous l’effort continu des mêmes rafales du large. L’air était vif et pur.

Ils ne causèrent point du livre, ni de rien de précis. Il n’y avait aujourd’hui que Zeyneb qui fût un peu grave ; Djénane et Mélek étaient toutes à la griserie de cette promenade en fraude, toutes à la contemplation de cette âpre magnificence des montagnes et des falaises qui dévalaient sous leurs pieds jusqu’à la mer. Pour être seules ici avec André, les petites révoltées avaient dû semer dans les villages de la route deux nègres et autant de négresses dont elles payaient le silence ; mais leurs audaces, qui jusqu’ici réussissaient toujours, ne les gênaient plus du tout. Et le bonhomme à barbe blanche leur servit du café dans ses vieilles tasses bleues, là, dehors, devant la triste Mer Noire,