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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/274

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ne doutant point d’avoir affaire à un bey authentique, en pèlerinage avec les dames de son harem.

Cependant l’air ici devenait très frais, après la chaleur de la vallée, et Zeyneb fut prise d’une petite toux qu’elle cherchait à dissimuler, mais qui disait la même chose sinistre que la fêlure encore si légère de sa jolie voix. Au regard échangé entre les deux autres, André comprit qu’il y avait là un sujet d’anxiété déjà ancien ; elles voulurent resserrer les plis du costume sur la frêle poitrine, mais la malade, ou la seulement menacée, haussa les épaules :

— Laissez donc, dit-elle, du ton de la plus tranquille indifférence. Eh ! mon Dieu, qu’est-ce que cela peut faire ?

Cette Zeyneb était la seule du trio qu’André croyait un peu connaître : une désenchantée dans les deux sens de ce mot-là, une découragée de la vie, ne désirant plus rien, n’attendant plus rien, mais résignée avec une douceur inaltérable ; une créature toute de lassitude et de tendresse ; exactement l’âme indiquée par son délicieux visage, si régulier, et par ses yeux qui souriaient avec désespérance. Mélek au contraire, qui semblait pourtant avoir un bon petit cœur, ne cessait de se montrer fantasque à l’excès, violente, et puis enfant, capable de se moquer, de rire de tout. Quant à Djénane, la plus exquise des trois, combien elle restait mystérieuse, sous son éternel voile noir,