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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/285

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sifflet d’alarme. Ils se rencontrèrent là deux fois, au bord de cette eau verte et dormante, parmi les joncs et les fougères immenses, dans l’ombre des arbres qui s’effeuillaient. Cette flore ne différait en rien de celle de la France, et ces fougères géantes étaient la grande Osmonde de nos marais ; tout cela plus développé peut-être, à cause de l’atmosphère plus humide et des étés plus chauds. Les trois petits fantômes noirs circulaient au milieu de cette jungle, un peu embarrassés de leurs traînes et de leurs souliers toujours trop fins, et, dans quelque endroit propice, ils s’asseyaient autour d’André, pour un instant de causerie profonde, ou de silence, inquiets de voir passer au-dessus deux les nuages d’octobre, qui parfois assombrissaient tout et menaçaient de quelque lourde ondée. Zeyneb et Mélek, de temps à autre, relevaient leur voile pour sourire à leur ami, le regardant bien dans les yeux, avec un air de franchise et de confiance. Mais Djénane, jamais.

André, avec tous ses voyages en pays exotiques, n’avait pas depuis de longues années, vécu ainsi dans l’intimité des plantes de nos climats. Or, ces roseaux, ces scolopendres, ces mousses, ces belles fougères Osmondes, lui rappelaient à s’y méprendre certain marais de son pays où, pendant son enfance, il s’isolait de longues heures pour rêver aux forêts vierges, encore jamais vues. Et c’était tellement la