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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/30

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des arbres, la magnificence des premières roses, exposer ses joues à la caresse de l’air, du soleil… Et pourtant, quels grands murs autour de ce jardin ! Pourquoi ces grands murs, comme on en bâtit autour du préau des prisons cellulaires ? De distance en distance, des contreforts pour les soutenir, tant ils étaient démesurément grands : leur hauteur, combinée pour que, des plus hautes maisons voisines, on ne pût jamais apercevoir qui se promènerait dans le jardin enclos…

Malgré la tristesse d’un tel enfermement, on l’aimait, ce jardin, parce qu’il était très vieux, avec de la mousse et du lichen sur ses pierres, parce qu’il avait des allées envahies par l’herbe entre leurs bordures de buis, un jet d’eau dans un bassin de marbre à la mode ancienne, et un petit kiosque tout déjeté par le temps, pour rêver à l’ombre sous les platanes noueux, tordus, pleins de nids d’oiseaux. Il avait tout cela, ce jardin d’autrefois, surtout il avait comme une âme nostalgique et douce, une âme qui peu à peu lui serait venue avec les ans, à force de s’être imprégné de nostalgies de jeunes femmes cloîtrées, de nostalgies de jeunes beautés doucement captives.

Ce matin, quatre ou cinq hommes, —des nègres aux figures imberbes, — étaient là, en bras de chemise, qui travaillaient à des préparatifs pour la grande journée de demain, l’un tendant un velum entre des branches, l’autre dépliant par terre d’admirables